POINT DE VUE

Conscience planétaire, chamanisme et télématique.

L'extension des réseaux télématiques va paradoxalement de pair avec un intérêt et un développement accru des pratiques chamaniques d'Amérique latine et d'Australie.

La conscience planétaire peut sûrement être appréhendée d'une autre manière que par le dynamisme expansif des réseaux télématiques. Avec leur intuition les artistes commencent à se poser aujourd'hui la question de la convergence sensible des représentations télématiques et chamaniques, le support télématique représentant une technologie "dry" dite sèche par opposition à la technologie biologique humide "moist" du chaman.

A travers les réseaux télématiques nous commençons à appréhender et à pratiquer une vie relationnelle à travers une " réalité mélangée " : travail partagé, réunions à distance, surabondance d'informations, difficulté de synthétiser et de saisir l'essentiel …
Une réalité dans laquelle les perceptions, la réalité et le mode d'être ordinaire se trouvent traversés, entrelacés avec des états de vigilance et des états de conscience " latents " nécessaires à la survie dans un monde globalisé.

De même, les deux réalités du chaman " réalité ordinaire " et " réalité rêvée " se mélangent sur le plan de la pratique et de l'imaginaire.

Pour augmenter notre conscience planétaire, nous avons donc tout à gagner à intégrer ces deux approches d'autant plus que leur convergence nous offre le potentiel de nouvelles manières d'être, de percevoir et de se comporter.
Roy Ascott l'a bien compris quand il fait observer ses réseaux télématiques par des chamans de Brasilia, pour découvrir s'il y a des points de correspondance entre l'espace chamanique et l'espace télématique. Il parle d'ailleurs d'un corps qui devient interface, de l'ordinateur vécu comme un environnement. Il va même jusqu'à proposer un art des médias humides " moistmedia " comme le substrat de l'art du XXI ème siècle, un art qui serait l'assimilation des systèmes computationnels et de la biologie vivante humide, un art qui serait le vecteur de la conscience planétaire.

VISITE D'ATELIER

Roy Ascott, artiste et théoricien de la télématique a fondé et dirige le Planetary Collegium (CAiiA-STAR) à l'Université du Pays de Galles en Angleterre. Il a enseigné plusieurs écoles d'art et exposé dans les grandes manifestations d'art électronique. Ses recherches portent sur l'art et la technologie de la conscience. Il est également fondateur et éditeur du journal " Technoetic Arts ".

• Roy, d'après toi, qu'est ce qui change avec l'art technologique ?
  
  Dans le système qu'on appelle l'art, les rôles se renversent, l'observateur devient actif, l'artiste devient passif, mais c'est une passivité spécifique, c'est comme le zen. L'observateur devient plus actif à cause de l'interface qui invite à une complicité de l'interaction entre ce qui est possible et ce qui est désiré. Le corps devient interface et c'est cela qu'il faut investiguer. Le " chip " arrive dans le cerveau, dans les animaux et dans les cerveaux humains. La puce a deux fonctions : l'amplification de l'intelligence et la transmission au réseau directement.

• Le corps devient interface ?
  
  Exactement, mais l'interface devient aussi un inter-espace, l'architecture urbaniste, l'architecture immédiate, tout ce qui concerne le mariage du cyberespace et de l'espace réel. Une conduite humaine arrive, une faculté que je nomme cyberception, c'est-à-dire l'amplification des modes de perception, amplification des modes cognitifs à travers un réseau intelligent. Les agents artificiels, les avatars, la vie artificielle demandent une conscience artificielle.

• Et la place de l'artiste ?
  
  C'est à l'artiste d'être prêt à voir l'émergence d'une conscience artificielle. Après le zen, on peut aussi apprendre de l'Orient avec l'esprit de machine. Il faut dire que l'ordinateur n'a jamais été un outil, c'est un environnement. Et le défi de l'art technologique est bien de penser l'ordinateur comme un environnement au risque de répéter et de compiler une esthétique dépassée.
  

• Qu'est ce qui te préoccupe en ce moment ?
  
  La grande question c'est de savoir comment nous allons habiter et construire cet environnement post-biologique ? L'esthétique de surface devient une esthétique d'apparition. C'est un changement, une rupture artistique très importante.
  A la tête des agents artistiques il y a la conscience télématique. C'est-à-dire une combinaison de conscience organique humaine, et une conscience artificielle qui émerge des agents artificiels dans les réseaux. Il ne faut pas étudier l'histoire de l'art, mais l'histoire des consciences. Il faut étudier les chamans parce que c'est avec eux que les premières études de la conscience ont commencé.