POINT
DE VUE
La
seconde interactivité
Aujourd’hui
les recherches sur l’intelligence artificielle rejoignent les recherches sur la
vie artificielle. L’interactivité a atteint une étape supérieure en complexité
et en autonomie .
Elle suit en cela l’évolution de la cybernétique. Alors
que la première interactivité s’intéressait aux interactions entre l’homme et
l’ordinateur sur le modèle action-réaction, la seconde interactivité s’intéresse
davantage à l’action guidée par la perception, à la corporéité et à l’autonomie
selon le concept de l’autopoièse que l’on doit au neurobiologiste Francisco
Varela.
Aux modèles physiques et mécaniques de la première s’opposent
les modèles issus des sciences cognitives et des sciences du vivant. Les artistes
qui travaillent à partir de ces modèles se retrouvent un peu dans la situation
des pionniers de l’image de synthèse du début des années 80, ils sont dans l’obligation
de développer leurs propres systèmes de programmation faute d’en trouver l’équivalent
dans les logiciels commerciaux.
Ainsi le département Art et
Technologie de l’Image de Paris 8 sous l’impulsion de Couchot, Bret et
Tramus travaille-t–il avec des neuroscientifiques pour développer ces
systèmes intéractifs.
Les dispositifs imaginés par ces artistes
ont tendance à solliciter la participation du corps entier. Cette démarche replace
le corps au centre de la création artistique, non pas le corps réaliste de la
synthèse, mais le corps senti et "acté" du spectateur se découvrant dans l'interactivité
une nouvelle perception, la sienne propre et celle de la machine.
Par ce détour technologique, comme le souligne si justement le critique
d’art Norbert Hillaire, l’attention
portée à la corporéité reprend ainsi une place qu’elle a en partie perdue dans
un certain art contemporain.
VISITE
D’ATELIER
Michel
Bret, vit et travaille à Paris. Artiste et checheur, il a enseigné
pendant de nombreuses années à Paris 8. Il est l’une des figures incontournable
de l’art numérique en France tant par l’originalité de la conception de systèmes
animés que par ses œuvres interactives primées dans de nombreux festivals internationaux.
- Michel,
peux tu nous dire pourquoi tu utilises les nouvelles technologies pour créer des
œuvres d’art ?
Après
avoir suivi des études de mathématiques et avoir eu une activité de plasticien
(peintures, collages, …) j’ai rencontré tout naturellement l’ordinateur en 1975.
Personnellement, je pense que l’art, comme expression et formation d’une culture,
se doit d’être en phase avec son époque. Il y a effectivement une révolution du
numérique et les artistes ne peuvent l’ignorer.
- Tu
es l’un des premiers artistes à avoir conçu des programmes originaux pour supporter
ta création, je pense notamment à « Anyflo »...
Anyflo
est un système original que j’ai commencé à concevoir il y a vingt ans. A l’époque
je critiquais fortement les logiciels du commerce écrits par des ingénieurs et
qui induisaient dans leur code une véritable "esthétique implicite". Je m'élevais
d'abord contre la trop fameuse "perspective", considérée comme un dogme incontournable
puis contre les méthodes d'animation, calquées sur les techniques traditionnelles
et le "tout souris" qui maintenait l'artiste dans un rôle purement manuel, très
éloigné des potentialités de la machine.
- Dans
les années 90, tu as intégré les principes de l’animation comportementale et du
connexionisme à ton système…
Oui,
principalement pour rompre avec le monde des objets de la synthèse classique et
pour se rapprocher du vivant. Cela s'accordait d'ailleurs très bien avec l'interactivité
qui réhabilitait le rôle du corps via la "participation". Plus tard j’ai utilisé
les concepts du connexionisme pour implémenter des réseaux neuronaux sous la forme
de petits cerveaux que je greffais sur mes créatures animées. Du coup elles prenaient
une certaine autonomie et j'expérimentais une façon plus libre de créer.
- Peux
tu nous parler de la "seconde interactivité" et des œuvres qui s’en inspirent
?
C’est
un concept que j’ai développé avec Edmond Couchot et Marie-Hélène
Tramus, il fait référence à la « seconde cybernétique » et aux systèmes
adaptatifs. C’est la dernière évolution du concept d’automatisme, à partir de
systèmes qui réalisent une vie artificielle, qui s’automodifient et se reproduisent.
C’est cette course vers l’autonomie qui m’intéresse en tant qu’artiste, je pense
que l’un des enjeux essentiel de l’art actuel est de libérer les œuvres de leurs
auteurs. J’ai ainsi réalisé « La Plume » et « le Pissenlit » avec Edmond
Couchot à partir d’un système permettant de générer des installations
interactives programmables puis « La funambule Virtuelle » et« Danse avec Moi
» avec Marie-Hélène Tramus, œuvres qui mettent en scène une acrobate
et une danseuse de synthèse autonome et interactive.
- Tu
continues toujours à développer toi même tes outils …
Bien
sûr, j’utilise pour cela mon système « Anyflo » en lui intégrant continuellement
de nouvelles fonctionnalités. Ainsi, dernièrement, j’ai implémenté des « réseaux
neuronaux » qui confèrent une certaine intelligence aux acteurs virtuels et des
« algorithmes génétiques » qui permettent de travailler sur des populations évolutives
d’acteurs. Plus généralement j’intègre des systèmes adaptatifs et d’autres techniques
issues de la « Vie Artificielle ».
- Quels
sont tes projets actuels ?
Je travaille en ce
moment avec des neuroscientifiques et des artistes des arts du spectacle (danse,
cirque, concerts, …). Je viens de terminer le développement d’un système de chorégraphie
artificielle qui produit, en temps réel, des danseurs de synthèse improvisant
sur n’importe quelle musique.